Délais de communication des archives
Posté : 21 avr. 2008 08:30
Transfert d'un article du Monde.fr 16 Avril
http://www.lemonde.fr/culture/article/2 ... r=RSS-3208
La colère est montée vite et fort. Adopté dans l'indifférence par le
Sénat, le 8 janvier, le projet de loi relatif aux archives, qui sera examiné
par les députés à partir du 29 avril, suscite une vague de protestation.
Ainsi, initiée le 12 avril par l'Association des usagers du service public
des archives nationales (Auspan), une pétition visant à dénoncer le projet
de loi a recueilli, en trois jours, 500 signatures d'historiens et
chercheurs
La fronde excède largement les seuls milieux académiques : tandis que
le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (CVUH) dénonce
un projet qui "aggrave les conditions actuelles d'accès aux archives et
porte atteinte aux droits des citoyens", la Ligue des droits de l'homme
s'inquiète de la menace qui pèserait sur "l'instrument de connaissance et de
mémoire partagée que représentent les archives publiques dans une
démocratie".
La révolte paraît à la mesure des attentes déçues. A l'origine, le
projet du ministère de la culture se présentait comme un texte d'ouverture,
visant à libéraliser la grande loi du 3 janvier 1979 en permettant aux
citoyens d'"accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire".
Ainsi, le délai de trente ans, jusqu'ici préalable à toute consultation
d'archive publique, était remplacé par le principe de la "libre
communicabilité".
Quant aux cinq régimes d'exception, qui s'échelonnaient de soixante à
cent cinquante ans, suivant qu'ils mettaient en cause la vie privée, la
sûreté de l'Etat, les affaires judiciaires, les données médicales ou
patrimoniales, ils n'étaient plus que trois : vingt-cinq, cinquante et cent
ans. Dans toutes les catégories, les délais se trouvaient raccourcis.
Certes, une nouvelle catégorie d'archives "incommunicables" était créée,
portant sur les armes de destruction massive et la protection des agents
secrets. Mais l'équilibre général représentait un réel progrès aux yeux des
chercheurs.
LA PRESSION DES NOTAIRES
Or le Sénat, contre l'avis du gouvernement, a transformé le texte de
façon très significative. Il a d'abord réduit la portée de certaines mesures
(sur les actes notariés, les archives des juridictions et les registres de
mariage), notamment sous la pression des notaires.
Bien plus : il a durci quelques aspects du régime existant. Ainsi, au
nom de l'allongement de l'espérance de vie, le texte voté par les sénateurs
fait passer de soixante à soixante-quinze ans le délai de consultation pour
les "documents dont la communication porte atteinte à la vie privée". Une
exigence fondamentale des citoyens, insiste René Garrec, rapporteur (UMP) du
texte au Sénat.
Un prétexte fallacieux, rétorque Sonia Combe, membre du CVUH et auteur
d'un livre intitulé Archives interdites (Albin Michel, 1994) : "En 1996, le
rapport du conseiller d'Etat Guy Braibant avait souligné cette utilisation
abusive de la notion de "vie privée", dès lors qu'elle est étendue aux
agissements des fonctionnaires d'Etat. En France, on maintient fermées les
archives des camps d'internement qui existaient sous l'Occupation au nom de
la protection de la vie privée des gardiens... La législation allemande est
beaucoup plus claire : pour elle, la vie privée ne peut pas concerner les
actes commis sous l'uniforme ou dans l'exercice de telle ou telle fonction."
A l'instar de Sonia Combe, nombreux sont les historiens qui
considèrent le texte du Sénat comme une immense régression : "Avec une telle
loi, Benjamin Stora n'aurait pas pu réaliser ses travaux sur la guerre
d'Algérie, déplore Denis Peschanski. Idem pour nous, historiens de la
seconde guerre mondiale. On ne peut pas nous faire la leçon sur le devoir de
mémoire et empêcher le citoyen d'avoir accès aux archives. Par exemple, les
politiques souhaitent qu'on rende compte de ce qu'ont vécu les harkis. Si on
recule les limites d'accès aux documents, comment faire cette histoire-là ?"
"ON EST DES GENS BIEN"
Si le texte du Sénat devait être voté en l'état par les députés,
notent les détracteurs du projet, certaines archives concernant la guerre
d'Algérie ne seraient disponibles que soixante-quinze ans après la fin du
conflit, soit en 2037. Surtout, ces restrictions refléteraient la suspicion
que l'Etat français continue de faire peser sur les chercheurs : "On est des
gens bien, quand on nous connaît, ironise l'historienne Anne Simonin. En
France, il y a une vision très fantasmatique du secret d'Etat, comme si on
allait aux archives pour attenter à la mémoire officielle. Mais en dix ans,
il n'y a pas eu une seule action intentée par le ministère de la justice
pour usage abusif. Qu'on en finisse avec cette vision négative du citoyen !
Il faut espérer que l'Assemblée nationale réagisse..."
Il se pourrait qu'Anne Simonin et ses amis aient été entendus : la
commission des lois de l'Assemblée a adopté une série d'amendements qui,
s'ils étaient confirmés en séance, reviendraient sur certains des éléments
les plus controversés votés par les sénateurs. Pour les documents relatifs à
la "vie privée", le délai de communication serait de nouveau ramené à
cinquante ans. Parmi les arguments utilisés par la commission, on lit
celui-ci : "Le maintien du secret pendant une trop longue période, loin de
protéger l'action de l'Etat, paraît plutôt de nature à favoriser les
fantasmes de toutes sortes sur l'histoire récente et les théories du
complot."
Jean Birnbaum et Nathaniel Herzberg
Article paru dans l'édition du 17.04.08.
500 signataires contre "le culte du secret"
Les 500 signataires - historiens, sociologues, philosophes,
généalogistes ou simples usagers, français mais aussi américains, anglais ou
canadiens - de la pétition contre le projet de loi sur les archives,
adressée à "Mesdames et messieurs les députés et sénateurs", affirment que
ce projet "renoue avec le culte du secret" et "va à l'encontre des
recommandations du Conseil de l'Europe et des pratiques et législations en
vigueur dans les grandes démocraties occidentales". Parmi les signataires :
Alya Aglan, Jean-Pierre Azéma, Philippe Artières, Christine Bard, Alain
Blum, Raphaëlle Branche, Herrick Chapman, Emmanuel Faye, Marc Lazar, Gérard
Macé, Marie-Anne Matard-Bonucci, Claude Mazauric, Gérard Noiriel, Todd
Shepard, Patrick Weil, Annette Wieviorka...
http://www.lemonde.fr/culture/article/2 ... r=RSS-3208
La colère est montée vite et fort. Adopté dans l'indifférence par le
Sénat, le 8 janvier, le projet de loi relatif aux archives, qui sera examiné
par les députés à partir du 29 avril, suscite une vague de protestation.
Ainsi, initiée le 12 avril par l'Association des usagers du service public
des archives nationales (Auspan), une pétition visant à dénoncer le projet
de loi a recueilli, en trois jours, 500 signatures d'historiens et
chercheurs
La fronde excède largement les seuls milieux académiques : tandis que
le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (CVUH) dénonce
un projet qui "aggrave les conditions actuelles d'accès aux archives et
porte atteinte aux droits des citoyens", la Ligue des droits de l'homme
s'inquiète de la menace qui pèserait sur "l'instrument de connaissance et de
mémoire partagée que représentent les archives publiques dans une
démocratie".
La révolte paraît à la mesure des attentes déçues. A l'origine, le
projet du ministère de la culture se présentait comme un texte d'ouverture,
visant à libéraliser la grande loi du 3 janvier 1979 en permettant aux
citoyens d'"accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire".
Ainsi, le délai de trente ans, jusqu'ici préalable à toute consultation
d'archive publique, était remplacé par le principe de la "libre
communicabilité".
Quant aux cinq régimes d'exception, qui s'échelonnaient de soixante à
cent cinquante ans, suivant qu'ils mettaient en cause la vie privée, la
sûreté de l'Etat, les affaires judiciaires, les données médicales ou
patrimoniales, ils n'étaient plus que trois : vingt-cinq, cinquante et cent
ans. Dans toutes les catégories, les délais se trouvaient raccourcis.
Certes, une nouvelle catégorie d'archives "incommunicables" était créée,
portant sur les armes de destruction massive et la protection des agents
secrets. Mais l'équilibre général représentait un réel progrès aux yeux des
chercheurs.
LA PRESSION DES NOTAIRES
Or le Sénat, contre l'avis du gouvernement, a transformé le texte de
façon très significative. Il a d'abord réduit la portée de certaines mesures
(sur les actes notariés, les archives des juridictions et les registres de
mariage), notamment sous la pression des notaires.
Bien plus : il a durci quelques aspects du régime existant. Ainsi, au
nom de l'allongement de l'espérance de vie, le texte voté par les sénateurs
fait passer de soixante à soixante-quinze ans le délai de consultation pour
les "documents dont la communication porte atteinte à la vie privée". Une
exigence fondamentale des citoyens, insiste René Garrec, rapporteur (UMP) du
texte au Sénat.
Un prétexte fallacieux, rétorque Sonia Combe, membre du CVUH et auteur
d'un livre intitulé Archives interdites (Albin Michel, 1994) : "En 1996, le
rapport du conseiller d'Etat Guy Braibant avait souligné cette utilisation
abusive de la notion de "vie privée", dès lors qu'elle est étendue aux
agissements des fonctionnaires d'Etat. En France, on maintient fermées les
archives des camps d'internement qui existaient sous l'Occupation au nom de
la protection de la vie privée des gardiens... La législation allemande est
beaucoup plus claire : pour elle, la vie privée ne peut pas concerner les
actes commis sous l'uniforme ou dans l'exercice de telle ou telle fonction."
A l'instar de Sonia Combe, nombreux sont les historiens qui
considèrent le texte du Sénat comme une immense régression : "Avec une telle
loi, Benjamin Stora n'aurait pas pu réaliser ses travaux sur la guerre
d'Algérie, déplore Denis Peschanski. Idem pour nous, historiens de la
seconde guerre mondiale. On ne peut pas nous faire la leçon sur le devoir de
mémoire et empêcher le citoyen d'avoir accès aux archives. Par exemple, les
politiques souhaitent qu'on rende compte de ce qu'ont vécu les harkis. Si on
recule les limites d'accès aux documents, comment faire cette histoire-là ?"
"ON EST DES GENS BIEN"
Si le texte du Sénat devait être voté en l'état par les députés,
notent les détracteurs du projet, certaines archives concernant la guerre
d'Algérie ne seraient disponibles que soixante-quinze ans après la fin du
conflit, soit en 2037. Surtout, ces restrictions refléteraient la suspicion
que l'Etat français continue de faire peser sur les chercheurs : "On est des
gens bien, quand on nous connaît, ironise l'historienne Anne Simonin. En
France, il y a une vision très fantasmatique du secret d'Etat, comme si on
allait aux archives pour attenter à la mémoire officielle. Mais en dix ans,
il n'y a pas eu une seule action intentée par le ministère de la justice
pour usage abusif. Qu'on en finisse avec cette vision négative du citoyen !
Il faut espérer que l'Assemblée nationale réagisse..."
Il se pourrait qu'Anne Simonin et ses amis aient été entendus : la
commission des lois de l'Assemblée a adopté une série d'amendements qui,
s'ils étaient confirmés en séance, reviendraient sur certains des éléments
les plus controversés votés par les sénateurs. Pour les documents relatifs à
la "vie privée", le délai de communication serait de nouveau ramené à
cinquante ans. Parmi les arguments utilisés par la commission, on lit
celui-ci : "Le maintien du secret pendant une trop longue période, loin de
protéger l'action de l'Etat, paraît plutôt de nature à favoriser les
fantasmes de toutes sortes sur l'histoire récente et les théories du
complot."
Jean Birnbaum et Nathaniel Herzberg
Article paru dans l'édition du 17.04.08.
500 signataires contre "le culte du secret"
Les 500 signataires - historiens, sociologues, philosophes,
généalogistes ou simples usagers, français mais aussi américains, anglais ou
canadiens - de la pétition contre le projet de loi sur les archives,
adressée à "Mesdames et messieurs les députés et sénateurs", affirment que
ce projet "renoue avec le culte du secret" et "va à l'encontre des
recommandations du Conseil de l'Europe et des pratiques et législations en
vigueur dans les grandes démocraties occidentales". Parmi les signataires :
Alya Aglan, Jean-Pierre Azéma, Philippe Artières, Christine Bard, Alain
Blum, Raphaëlle Branche, Herrick Chapman, Emmanuel Faye, Marc Lazar, Gérard
Macé, Marie-Anne Matard-Bonucci, Claude Mazauric, Gérard Noiriel, Todd
Shepard, Patrick Weil, Annette Wieviorka...